C’est véritablement les consommateurs qui orientent l’engagement des grandes marques, avec ces marques qui vont adapter leurs discours suivant ce que les consommateurs attendent d’elles.

Ce phénomène peut très bien s’expliquer car les marques ont subi une crise de confiance qui les a contraintes à changer leurs discours publicitaires en s’engageant des causes afin de redorer leurs images. Comme peut en attester l’article écrit par Pascale Hébel, Thomas Pilorin et Nicolas Siounandan : « Face au net infléchissement, début 2008, des parts de marché des marques dans la grande consommation, de nombreux observateurs ont parlé d’une crise de confiance dans les marques. S’agissait-il, comme lors de la crise de 1993, d’une réaction à la conjoncture économique ? À cette époque, on s’en souvient, un phénomène de saturation de l’information publicitaire s’était développé, s’apparentant quasiment, au début des années 2000, à une critique de la société de consommation. ».[1] La perte de crédibilité des grandes marques a donc engendré une prise de décision chez les entreprises fortement inspirées de la démarche présente chez les marques engagées. La pression des consommateurs est donc un véritable moteur de changement dans le discours publicitaire, cependant cela peut amener à des dérives car en adoptant cette posture, les grandes marques ne se définissent plus par les caractéristiques fonctionnelles de leurs produits, toujours d’après l’article : « La recherche permanente d’efficacité que connaît la publicité depuis sa création a conduit à l’idée qu’il est préférable, dans de nombreux secteurs, que la marque ne soit plus obligatoirement liée au produit. Dans une situation de relative saturation publicitaire, la marque cherche au contraire à développer une relation directe avec l’utilisateur, presque indépendante de la nature du produit ou du service fourni ».[2]

Changement d’autorité du discours publicitaire

L’engagement des grandes marques n’est donc pas anodin et les dynamiques qui se cachent derrière la prise de position de ces grandes marques sont motivées par les consommateurs qui ont renversé la roue du discours publicitaire. Alors qu’à la base c’étaient les marques qui proposaient un discours de marque dont les consommateurs étaient libres d’adhérer ou pas, il y a eu ces dernières années un véritable changement de pouvoir, avec les consommateurs qui imposent aux marques de s’engager et prendre position sur les problèmes de société.

Notion d’engagement

La véritable notion qui faut mettre en avant est celle de l’engagement, comme a pu le faire Anne Brault-Labbé et Lise Dubé : « Plusieurs des décisions majeures que nous prenons au cours de notre vie impliquent des choix difficiles dont nous tentons de mesurer les avantages, les coûts et les compromis associés. De tels choix surviennent autant dans les sphères académique et professionnelle de la vie que dans les sphères amoureuse ou personnelle : les gens se trouvent fréquemment confrontés à une question qui provoque parfois de la confusion, de la crainte ou de l’incertitude, mais à laquelle personne n’échappe en bout de ligne : va-t-on s’engager ou non ? Et peu importe la réponse qui ressort des délibérations intérieures évoquées par cette question, les décisions qui en découlent ont généralement un impact important sur l’ensemble du fonctionnement personnel qui s’ensuit ».[3] Cela explique donc pourquoi les consommateurs cherchent l’engagement dans les marques engagées et les grandes marques. Si l’on prend l’engagement de l’environnement qui est majoritairement plébiscité par les consommateurs, on peut aisément appréhender le fait que ces consommateurs ont pris conscience des conséquences nuisibles sur la nature liées à la consommation des produits industriels, et ils cherchent donc à limiter ces conséquences en choisissant des marques respectueuses de l’environnement et engagées pour sa protection. L’engagement apparaît ayant une certaine synergie entre les attentes des consommateurs et ce que les marques proposent, d’un côté ces marques sont pratiquement obligées d’être engagées, mais de l’autre les consommateurs sont prêts à mettre leurs contributions en jeu en achetant les produits ou les services de cette marque engagée ou de cette grande marque choisissant un engagement.

Volonté des consommateurs d’agir

Derrière l’engagement se cache donc une véritable envie d’agir de la part des consommateurs, dont les marques profitent de cette envie pour la convertir en acte d’achat. L’engagement proposé par les marques est en quelque sorte un engagement mainstream dont les consommateurs adhèrent par réflexe. C’est pour cette raison qu’il faut prendre en compte la dimension historique de l’engagement et de son utilisation par nos ancêtres, selon Jean-Philippe Pierron : « Dans notre modernité, l’engagement a quitté les terres lointaines de la codification. Le militant, l’intellectuel engagé, le syndicaliste acharné n’offrent plus des postures très engageantes. Il s’est éloigné des temps reculés qui connaissaient sa mise en forme autoritaire et autorisée. Il n’est plus le temps de l’engagement qui fut un temps du code. On s’avançait alors vers l’engagement en rangs serrés. L’engagement pouvait être militaire, religieux, missionnaire ou sanitaire, il était toujours communautaire. Casernes, monastères, hospices, partis ou syndicats fleurissaient, les murs craquant sous la ruée des engagés volontaires. L’engagement avait un goût de vocation. On se disait appelé ».[4] L’engagement est aujourd’hui libéré d’un réel sens tangible, avec une société de consommation composée de consommateurs qui sont en quête de valeurs et de repères. C’est à se demander si justement les marques ont récupéré la perte de sens du terme de l’engagement pour l’utiliser à leur avantage. Les consommateurs choisissent ainsi leurs engagements comme ils choisissent leurs vêtements, les engagements sont donc instrumentalisés et monnayés par les marques en les utilisant dans leurs discours.

Toujours selon Jean-Phillipe Pierron : « L’engagement connaît aujourd’hui sa dévaluation. Les colonnes d’engagés se sont peu à peu clairsemées. Dans une postmodernité marquée par ce que Jean-François Lyotard appela La fin des grands récits, l’engagement est moins collectif qu’individuel. Ne croyant plus aux effets de l’engagement sur le monde, on en attend les effets pour soi. Au langage de la vocation de la religion, et au langage de la convocation de la raison s’est ainsi substitué celui de la motivation ».[5] Motivation qui s’est ainsi mue dans l’acte d’achat du consommateur qui va avant tout penser à ses intérêts personnels en achetant le produit ou le service, mais qui va quand même motiver son acte par les engagements tenus par les marques.

Engagement réciproque

Une dimension a aussi prendre en compte est celle de l’engagement réciproque qu’il peut y avoir entre la marque et son engagement, le consommateur et son engagement, et donc le consommateur et la marque. C’est pour cette raison que les marques engagées ont un discours beaucoup plus clivant et engagée car elles peuvent compter sur des consommateurs réellement engagés. Les grandes marques quant à elles peuvent se reposer sur la mode de l’engagement pour surfer dessus. On peut donc en venir au fait que l’engagement engage une relation entre la marque et les consommateurs, en dehors du fait que les marques devront tenir leurs engagements. Une relation de confiance est donc créé, relation qui repose sur ce que ressens le consommateur à propos de la marque, selon Noël Albert et Pierre Valette-Florence : « Les marques sont omniprésentes dans le quotidien de très nombreux consommateurs. Sensibilité, attachement, engagement ou fidélité, le monde académique multiplie les concepts toujours plus forts et plus intenses pour appréhender les relations existantes entre les marques et les consommateurs. Dès lors, les consommateurs peuvent-ils éprouver de l’amour pour une marque ? Cet amour peut-il être similaire ou identique à l’amour pour une personne ? Depuis près de 20 ans, la recherche en marketing s’intéresse au concept d’amour et reconnaît explicitement l’existence de ce sentiment pour des objets ou des marques ».[6] L’engagement de marque pourrait donc apporter un nouvel élément pour que la marque se fasse aimer par les consommateurs qui la percevront comme juste et authentique si elle participe au bien-être du monde.

Toujours selon Noël Albert : « Les relations entre consommateurs et marques (RCM) sont un sujet enthousiasmant tant les praticiens que les académiciens. Ainsi, les chercheurs en marketing ont multiplié les concepts (engagement, confiance, identification, etc.) pour mieux saisir les rapports que les consommateurs entretiennent avec leurs marques ».[7] Au final, même si les consommateurs obligent les grandes marques à être engagées, ce sont eux qui s’engagent auprès de ces marques à acheter leurs produits ou services. C’est une sorte d’accord tacite qui repose quand même sur la dominance des marques sur les émotions qu’elles peuvent susciter chez les consommateurs afin de leur provoquer un acte d’achat grâce à leurs engagements.

Piège de l’engagement

Tel est pris qui croyait prendre. Même si ce sont les consommateurs qui sont à l’origine de l’engagement des marques, ce sont eux qui choisissent aussi à qu’elles marquent ils vont être engagés (et à quelle sauce ils vont être mangés). Afin d’être congruent avec leurs engagements, les consommateurs vont avoir l’illusion de choisir des marques alors qu’au final, les véritables bénéficiaires de cette dynamique sont les marques. Si les grandes marques sont autant investies dans la démarche de l’engagement, c’est que justement cette démarche peut rapporter en termes économiques et communicationnels. En devenant le porte-parole du développement durable, de la lutte contre les discriminations et la pauvreté, du bien-être animal, de la santé, la marque étend son champ de compétence.[8] La marque devient aussi une entité politique car elle prendra des décisions pour la société. Ce nouveau statut de la marque qui remplace les institutions est d’ailleurs mis en évidence par une phrase dite dans le film Fight Club par Edward Norton : « Quand l’exploration de l’espace intersidéral prendra de l’ampleur ce seront les multinationales qui mèneront tout. La sphère stellaire IBM, la galaxie Microsoft, la planète aux cafés Starbucks ».


Article extrait de mon mémoire à retrouver directement en cliquant ici.

[1] HÉBEL Pascale, PILORIN Thomas, SIOUNANDAN Nicolas. « Les nouvelles perceptions de la marque : moins de fonctionnel, plus d’engagement ». Après-demain, 2013, n°25, p. 13-15.

[2] HÉBEL Pascale, PILORIN Thomas, SIOUNANDAN Nicolas. « Les nouvelles perceptions de la marque : moins de fonctionnel, plus d’engagement ». Après-demain, 2013, n°25, p. 13-15.

[3] BRAULT-LABBÉ Anne et DUBÉ Lise. « Mieux comprendre l’engagement psychologique : revue théorique et proposition d’un modèle intégratif ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2009, n°81, p. 115-131.

[4] PIERRON Jean-Philippe. « L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir ». Sens-dessous, 2006, n°1, p. 51-61.

[5] PIERRON Jean-Philippe. « L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir ». Sens-dessous, 2006, n°1, p. 51-61.

[6] ALBERT Noël. « Le sentiment d’amour pour une marque : déterminants et pertinence managériale ». Management & avenir, 2014, n°72, p. 71-89.

[7] ALBERT Noël, VALETTE-FLORENCE Pierre. « L’amour d’un consommateur pour une marque : dimensions exploratoires ». Marché et organisations, 2010, n°12, p. 115-145.

[8] E-marketing. Quand les marques s’engagent. Disponible sur : https://www.e-marketing.fr/Marketing-Magazine/Article/Quand-les-marques-s-engagent-44573-1.htm (Consulté le 24/04/2019)

Stats